8 décembre 2023

Prisonnière d’un temps

Une femme flottant sur de l’eau. Crédit photo : pixabay

J’ignorais que je naîtrais. Je suis le fruit, du hasard ou pas, entre deux personnes qui se sont rencontrées, se sont aimées et ont décidé de rester ensemble. Mon enfance fut bercée par les histoires du terroir local, les habitudes, les joies et les peines des individus qui m’entourent. Tout n’était pas lucide, mais riche en émotions. En effet, je me sentais bien près d’eux et je cherchais à comprendre la facilité avec laquelle, une personne se laissait transporter par ses sentiments. Était-ce son cœur ou son cerveau qui lui dictait la démarche à suivre ? Je ne saurais vous répondre, car j’étais prisonnière d’un temps. J’étais tout simplement fascinée.

Quand j’eus l’âge d’aller à la maternelle, je n’eus pas cette résistance comme les autres enfants qui pleuraient après le départ de leurs parents. Je me sentais bien lorsqu’il était l’heure d’y aller.

Le couloir d’une prison. Crédit photo : pixabay

J’ai aimé cette période de ma vie, car l’insouciance était mon bel habit et le goût du risque était une évidence. En effet, la différence entre les filles et les garçons n’avait pas l’air d’exister, sauf quand il fallait se rendre aux toilettes. Je remarquai que certains étaient debout. D’autres étaient assises. Hormis ce fait, le mélange était parfait. La religion était exclue des débats enfantins que nous menions. Les bonnes dames encourageaient l’inclusion et l’entraide entre petits camarades. En ce moment de ma vie, personne ne faisait la différence ethnique existant entre les enfants dans la cour. Nous étions tous des enfants et le plus important était de passer ensemble, le temps imparti par nos enseignantes. Les questions liées à l’origine n’étaient pas notre tasse de thé.

J’ai également vécu cette même expérience à l’école primaire. Seulement, il arrivait que ma maîtresse de l’époque demandât à un élève sa région d’origine, quand il commettait une erreur jugée infaisable pour son niveau. « C’est ainsi que l’on fait ou écrit chez toi ? », disait-elle sans rien ajouter. Évidement, les autres gloussaient et on passait à autre chose. C’est-à-partir de ce moment, que j’ai commencé à m’intéresser à ma région et à retenir le nom. En effet, ceux et celles qui ne connaissaient pas les leur, se faisaient charrier.

Les barbelés d’une prison. Crédit photo : pixabay

C’était la belle époque ! Hélas, le Collège, le Lycée et l’Université furent les lieux où les séparations étaient les plus palpables. Les hormones sont en ébullition. Garçons et filles se courtisaient, formaient des couples, se faisaient des cadeaux, roucoulaient, se disputaient et se séparaient quand les congés ou les vacances se pointaient à l’horizon.

Après l’obtention de mon Certificat d’étude primaire élémentaire, l’Etat m’affecta dans un Collège de confession religieuse différente de la mienne. C’était un monde nouveau que je découvrais. Les pratiques étaient différentes des miennes. Certains enseignants.es issus.es de cette confession religieuse nous interdisaient les pratiques qui nous étaient propres. Ici, il fallait couper la poire en deux. Une partie acceptait la situation et continuait son chemin. Une partie refusait catégoriquement et se faisait malheureusement exclure des cours par les enseignats.es. Je me demandais quelques années plus tard à quel moment le principe de la laïcité s’appliquait.

Pour mettre un terme aux tensions, il eut un arrangement entre les deux parties et les cours reprirent. Je puis dire que les conflits générationnels ne me touchaient pas vraiment, parce que la jeune fille que j’étais, ne voulait pas être une prisonnière d’un temps. En effet, j’eus le sentiment, que la peur de perdre son autorité face à des gamins de dix ou onze ans pourrait troubler et amener une personne à prendre des décisions drastiques. L’enseignant est là pour inculquer le savoir et pas imposer ses dictats sur des enfants qui pourraient avoir le même âge que les siens. Tout peut se faire par le dialogue et par l’intéressement à l’autre.

Le temps passait. Mais je constatais que les rapports se détendaient de plus en plus entre les êtres humains qui peuplaient mon entourage. Les filles se suivaient et les garçons faisaient pareils. Voir les deux sexes se suivre, signifiaient forcément qu’ils faisaient des choses d’adultes. Donc des enfants dépravés auxquels des bonnes mœurs devaient être inculquées, afin de les ramener sur le droit chemin. Qui sur cette terre pouvait prétendre connaître le droit chemin ? Aucun manuel n’est délivré au nouveau-né. Il devrait juste se fier aux dires de ses prédécesseurs et tracer son chemin.

Chacun prévoyait déjà sa vie avec l’homme ou la femme de sa vie, lorsque j’arrivais au Lycée. Cependant, la planification fit en suivant des critères spécifiques, que les parents instituaient aux préalables ou sur un modèle d’affranchissement de l’autorité parentale et des carcans sociétaux. En effet, appartenir à la même confession religieuse, provenir de la même région, vouloir un métier commun étaient des critères non négociables pour les jeunes à mon époque. Conduisant malheureusement à changer et à détruire leur unicité.

L’amour est libre. Il naît dans le cœur et disparaît aux vents sans une programmation préméditée. Il réchauffe des âmes refroidies par les actes inhumains perpétrés par d’autres humains. L’amour éclaire les lanternes éteintes des personnes qui ont été confrontées aux difficultés de la vie. En effet, il parfume les corps longtemps vidés de leurs senteurs originels.

Seulement, nous étions jeunes. Nos émotions éphémères prirent en otage les valeurs primordiales qui devaient nous permettre de cheminer sereinement vers la vie d’adulte. L’époque était belle et charmante, car nous continuions à grandir. Les goûts se raffinaient davantage, les comportements se maturaient, les pensées et les discours s’affinaient. A mon niveau, j’avais hâte d’avoir le baccalauréat et de m’en aller. Cette hâte de partir n’était pas lié au lycée ou à mes camarades, mais à l’environnement dans lequel je vivais. Le lycée était le lieu où je me sentais bien. La bibliothèque était à ma portée, les gens me divertissaient par leurs mimiques et les causeries entre camarades m’enrichissaient énormément. Mais j’aspirais plus humainement et spirituellement.

Comme une femme portant une grossesse pendant neuf mois, j’enfaitai de mon diplôme et je pris mon envol vers ma nouvelle vie d’étudiante. J’ai aimé ma vie estudiantine et énormément appris, car les jeunes filles vivaient aisément, parlaient assurément et agissaient librement. Aucune n’était prisonnière d’un temps. Les jeunes garçons étaient aimables, serviables, avenants, courtois quand il le fallait, disponibles et gentils suivant les occasions.

Je me sentais bien. Les différences étaient inexistantes. Nous vivions insouciant comme je l’étais dans mon enfance. Malheureusement, cette sensation de liberté fut courte. J’oubliai, en effet, que ce sont les enfants que nous étions hier, qui devinrent les adultes d’aujourd’hui. Le risque de retomber sur des pensées semblables étaient inévitables. J’avais peur d’y face et d’être une prisonnière d’un temps. Effectivement, les discussions tournèrent encore autour des critères établis comme à l’époque du Collège et du Lycée. Ma sidération fut grande. Plus le temps s’écoulait, plus les rapports étaient douloureux. Les sujets banals prenaient de l’ampleur dans soirées bien ou peu arrosées.

Malheureusement les petites discussions entre camarades de classes ou de filières différentes s’interrompaient, parce que chacun se cramponnaient à son idée et quittaient la table quand une opposition planait dans l’air. Hélas, je devins prisonnière de mon temps. J’aurai aimé voir mon temps se développer différemment. Je me demandai comment je pourrai faire pour supporter les années suivantes.

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