Une dame de fer

Article : Une dame de fer
Crédit: Freepik
9 août 2022

Une dame de fer

La vie m’a permis de connaître ma grand-mère maternelle. Une personne aimante et bienveillante prête à tout pour moi. J’ai été sa première petite-fille et j’ai eu la chance d’avoir profité au maximum de son amour et son attention. Malgré toute sa gentillesse et sa patience, cette dame de fer a été confrontée à des difficultés majeures, qui ont bouleversées le cours de sa vie.

La recherche de la pitance

Ma grand-mère est originaire de la Côte d’Ivoire. Dans les années 60, elle a rencontré un jeune homme burkinabè avec qui elle s’est mariée. La vie en terre ivoirienne n’était pas facile, ils ont donc décidé de venir au Burkina Faso. Elle ne connaissait personne dans ce pays, sauf son mari. Ma mère m’a dit que sa principale difficulté était liée à la recherche d’un travail. Elle était dépourvue d’un quelconque diplôme scolaire ou universitaire. Aussi, elle ne parlait que le dioula (ndlr: langue mandingue parlée ou comprise au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso). Que faire ?

Une grand-mère avec ses petits enfants sur un canapé. Crédit : Freepik.

Un beau matin, avec ses petites économies, elle commença donc à vendre de la bouillie, car c’était la principale activité qu’elle savait faire quand elle était même à Abidjan. Mais le gain obtenu était peu pour subvenir aux besoins de la maison. Mon grand-père ne travaillait plus, car l’insertion au pays natal s’est avérée difficile. Ma grand-mère décida ainsi donc de vendre en plus de la bouillie, un jus local communément appelé « zoom-koom« .

Cette dame de fer était prête à tout, selon les témoignages, pour s’intégrer dans le pays des hommes intègres. Il paraît qu’elle essayait d’apprendre quelques mots en mooré, une des langues nationales les plus parlées, dans l’optique d’éviter l’exclusion sociale. Je constate qu’elle ne se laissait pas abattre par les difficultés quotidiennes et poursuivait son bout de chemin.

Un veuvage précoce

La situation de ma grand-mère avait l’air de s’améliorer, car l’argent ne constituait plus un souci majeur pour elle. Malheureusement, la vie en a décidé autrement. Dans les années 90, mon grand-père rendit l’âme. Ma mère me fit savoir, que l’avenir devenait douteux pour eux. En effet, étant une étrangère, elle ne savait pas vers qui se tourner et demander de l’aide. Elle prit la décision de vendre la parcelle et retourner en Côte d’Ivoire. Mais sa belle-famille s’opposa et voulait lui imposer un nouveau mari, parce que cela faisait parti de leurs coutumes. Seulement, la dame de fer désapprouva vivement cette idée et décida de rester. Deux de ses enfants décidèrent de repartir en Côte d’Ivoire. Le dernier enfant étant une fille se maria et s’en alla.

Elle resta finalement seule et continua son commerce. Elle ne voulait pas prendre le risque de perdre sa maison et ses acquis. Ma grand-mère réclama donc les papiers de la parcelle, dans le but de faire des rénovations. Comme le malheur n’arrivant jamais seul, ses beaux-frères lui firent savoir qu’ils avaient perdus les papiers de la parcelle et que la deuxième femme de mon défunt grand-père viendrait bientôt. Ce fut un choc pour elle. Que pouvait-elle faire ? Il ne voyait en elle qu’une étrangère.

Le retour au pays natal

A mon humble avis, il était préférable que ma grand-mère retourne en Côte d’Ivoire. Elle n’avait plus à souffrir, car elle avait lutté comme elle le pouvait. Mais j’étais très petite pour m’interférer dans les discussions d’adultes, à cette époque. En 2011, mon oncle revint au Burkina Faso pour lui sommer de rentrer avec lui. En effet, il évoquait le fait qu’elle était restée très loin de sa famille et que tout le monde avait hâte de la revoir. À la suite de plusieurs refus et négociations, elle finit par accepter. Les gens du quartier étaient vraiment émus de la voir partir. Les bénédictions pour lui souhaiter un bon voyage fusaient de partout. Ce jour-là, j’étais stupéfaite par tant d’amour et de reconnaissance pour ma grand-mère.

Cette vendeuse de bouillie a su avoir le respect de tout le monde. Ce que tout le monde ignorait, c’était le fait qu’il s’agissait d’un adieu.

La vieillesse et les regrets

Selon ses dires au téléphone, sa famille l’a véritablement accueillie en grande pompe. La joie de vivre avait fui sa vie il y a très longtemps et la chaleur des siens lui avait redonné le sourire. Seulement, une vérité terrible devait lui être annoncée. La venue de mon oncle au pays cachait bien quelque chose de triste. Effectivement, ils l’ont fait revenir pour lui annoncer que ses frères et sœurs, de même que leurs enfants sont tous décédés. Certains devinrent très vieux, d’autres furent emportés par les circonstances malheureuses de la vie. Il ne restait que deux petits enfants de ceux-ci, qu’elle connaissait à peine. La douleur et la tristesse m’envahirent. J’avais mal pour elle.

Ma grand-mère est un exemple pour moi. En effet, elle a tout quitté pour l’amour de sa vie. Cette femme a lutté contre vents et marées pour réussir dans un autre pays. Elle a connu l’humiliation des proches de son mari et la trahison de celui-ci. Malheureusement, la vieillesse a pris son corps et son esprit. Seuls les souvenirs restent. Quand je l’appelle souvent, elle me demande le jour de ma venue. Ne voulant pas la rendre triste, je lui dis que je suis en route. Et je mets fin ainsi à la discussion, en souhaitant un bon soir à ma dame de fer.

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