29 août 2022

À la barre

Un vieil homme avec peu de moyens tenant sa canne. Crédit : Freepik

« Je vous jure que je ne suis pas coupable », criait le vieil homme, à la barre, dans la salle d’audience. J’étais ce jour-là au Tribunal de grande instance pour suivre un procès comme d’accoutumée. En effet, j’étais fascinée par le monde judiciaire et je me voyais dans cette magnifique robe en soie que portaient les juges, après mes études de droit.

Bref, là n’était pas le sujet. C’était la première fois que je voyais cette salle d’audience ouverte et l’animation qui en émanait m’interpella. Malgré le calme exigé à chaque audience, les gens n’arrivaient plus à se contenir quand les accusés avaient droit à la parole. J’étais étonnée et je demandai à mon voisin ce qu’il se passait. « Vous voyez ces trois jeunes hommes assis non loin du procureur, accusent le vieil homme à la barre de sorcellerie. », me dit-il tout enjoué. La sorcellerie ? En ville et surtout dans un tribunal, je n’arrivais pas à le croire. Je pensais que ce type d’affaire était propre au village et se réglait sous l’arbre à palabre. Mais non ! Cela se passait juste devant moi et j’oubliai finalement ce que j’étais venue faire exactement au tribunal, en cette journée du neuf mai.

« Du silence dans la salle ! », hurlait le président de séance en tapant sur son marteau. Il fit venir un des accusés à la barre. « Que reprochez-vous à ce vieil homme ? », lui demandait le président. « Ce vieil homme que vous voyez, a tué trois personnes dans notre village. », répondît-il. « Avez-vous des preuves de ce que vous dîtes ? », lui retorqua le président. « Après une intercalation houleuse avec le vieil homme, les trois personnes en question sont décédées les jours qui suivirent. Il avait juré au milieu de la foule qu’elles allaient mourir et c’est ce qui s’est passé monsieur le président. C’est tout simplement de la sorcellerie ! », dit-il en regardant le vieil homme. Le procureur se leva et dit à l’accusé que cela ne constituait pas une preuve suffisante pour juger de l’implication du vieil homme dans le décès des trois personnes.

« L’avez-vous vu avec une arme pouvant ôter la vie des trois personnes ou un quelconque objet pouvant aspirer leurs âmes ? », lui demandait le procureur avec un air intéressé. « Je vous dis qu’il a affirmé que ces personnes allaient mourir. Si ce n’est pas un sorcier qui pouvait avoir la réponse, qui d’autre pouvait le faire ? Il a dit et tout le monde a entendu. C’est un sorcier ! », dit-il avec conviction. La salle s’échauffait de plus en plus.

En effet, il y avait des gens du village. D’une part, était présente la famille du vieil homme accusé à tort, qui clamait son innocence. D’autre part, celle des accusés qui faisait de même. Le président ne faisait que taper sur le marteau pour réclamer le silence. Il interpellait au besoin la Garde de sécurité pénitentiaire pour instaurer le calme requis. Mais son acte était vain, car cette affaire captivait l’attention des uns et des autres.

Généralement, ce sont les vieilles femmes veuves qui sont accusées de sorcellerie et non les hommes. Aussi, l’affaire avait été portée devant une instance judiciaire. C’était la première fois que j’assistais à une situation pareille, surtout dans un pays où le poids des traditions se fait toujours ressentir.

Le président fit appeler le deuxième accusé à la barre. Celui-ci répéta à peu près la même chose que le précédent. Le troisième, c’était la même chose. Pour eux, le simple fait que le vieil homme ait souhaité la mort de ses agresseurs prouvent sa culpabilité. Effectivement, c’est ce qu’il y avait dans son cœur de sorcier qu’il exprima et causa la mort de ces personnes. J’étais abasourdie. En ce moment précis, je me suis demandée le nombre de fois que j’avais eu des intentions obscures envers des gens qui m’avaient causée du mal intentionnellement ou pas. Seulement, je me rendis compte qu’ils sont toujours vivants et bien portants. Quel était donc le réel problème ? Était-on face à de la sorcellerie ou à un conflit entre voisins mécontents ?

Mes oreilles étaient accrochées aux lèvres des juges présents dans la salle.Le président fit venir sans tarder le vieil homme à la barre. « Pourquoi ces trois hommes vous accusent-ils de pratiquer la sorcellerie et d’être à l’origine de la mort des trois personnes ? », lui demandait le président. « En toute sincérité, je ne sais pas. Je reconnais qu’après les intercalations, j’ai dit qu’elles allaient mourir. Seulement, vous pouvez le constater, je ne suis qu’un vieil homme de soixante-onze ans et je n’ai plus la force. », dit-il tout serein. « Comment se fait-il que ces trois personnes étaient-elles toujours en conflit avec vous ? », lui demandait le président.

« Nos familles sont liées. Quand l’ainé de la famille mourut, au regard de la tradition, sa dernière épouse me fût donnée et une partie de ses terres. Les trois jeunes hommes n’étaient pas d’accord et l’un réclamait la femme, car il ne s’était pas encore marié et que j’étais assez vieux pour prétendre à une nouvelle union. Ayant refusé de satisfaire leur volonté, j’étais devenu leur objet de souffrance. Ils me molestaient dès qu’ils me voyaient. Les menaces fusaient contre ma famille et ils l’exigeaient de quitter le village. Un jour, ils sont venus chez, m’ont frappé et sont allés me jeter dans la forêt. C’est mon fils, ayant vu la scène de loin, qui me ramena à la maison après leur départ. Je vous jure que je ne suis pas coupable. », répondît-il à la barre avec véhémence.

Ses femmes et son fils qui étaient à côté, confirmèrent par des gestes, quand je jetai un regard en leur direction.

« Mais comment expliquez-vous leur mort après vos menaces ? », ajoutait le président.« Je ne saurai vous dire. Le premier était très malade depuis des années. Le deuxième avait l’habitude de boire de l’alcool frelaté et le troisième était également malade. Les soins prodigués étaient inutiles. Peut-on dire que je suis la cause de leur mort ? Leur heure était juste arrivée. », dit-il en haussant des épaules. La famille des accusés contestait également par des gestes.

A travers l’ambiance de la salle, les uns croyaient en la culpabilité du vieil homme, car seul Dieu ou un sorcier pouvait prédire la mort d’une personne et dans le cas présent, le vœu de celui-ci a été exaucé. Les autres croyaient en son innocence, car la sorcellerie pour eux n’existe pas et que les jeunes voulaient dépouiller les biens du vieil homme. Les murmures s’amplifiaient ainsi dans la salle. Même mon voisin croyait de la culpabilité du vieil homme. De mon côté, je ne voulais émettre aucun avis avant la fin du procès. Après que toutes les parties eurent avancées leurs arguments, la Cour se retira pour délibérer.

Les trente minutes d’attente paraissaient une éternité pour connaitre la décision des juges. Entre-temps, la porte s’ouvrit, nous nous levâmes, les juges s’assirent et nous fîmes de même. Ils lurent les articles qui avaient traits à la sorcellerie selon le Code pénal en vigueur et les sanctions encourues par les accusés. Ces derniers se sentaient en dehors du procès, car selon eux, cette affaire devait se resoudre au village et non en ville. Les différents avocats plaidèrent autant qu’ils pouvaient. Force était de constater que le juge avait déjà pris sa décision.

À la barre, les trois accusés furent reconnus coupables d’avoir accusé le vieil de sorcellerie. Ils ont été condamnés à un an d’emprisonnement avec six mois de sursis et ont écopé d’une amende de deux cent cinquante mille FCFA chacun. Le vieil homme leva les deux bras vers le ciel en guise de victoire, lorsque soudainement, un des accusés s’affranchit du garde, attrapa le vieil homme par le cou et l’étrangla. Les gens hurlaient dans la salle. Tout à coup, j’entendis un coup de feu. Une des gardes de la sécurité pénitentiaire tira sur l’agresseur et la suite était floue dans mon esprit. En effet, tout le monde se retrouvait à l’extérieur de la salle d’audience et les forces de l’ordre envahissaient entièrement la cour.

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