14 avril 2023

Le désir d’une servante

Cristal raconte son parcours avec tous les rebondissements que la vie lui a fait vivre. La ville, un rêve nourrit par beaucoup de jeunes pour améliorer leurs conditions de vie. Le désir d’une servante, une histoire tirée de faits réels.

Une jeune servante entrain de nettoyer le sol. Crédit photo : freepik.

Le village n’était pas fait pour moi et je le savais depuis toujours. A mes cinq ans, je me rappelle comme si c’était hier, mon oncle m’avait ramené de la ville, une belle robe bleue et des chaussures fermées de couleur blanche.

Je les gardais précieusement au fond de ma valise et ne les sortais que pour les grandes occasions du village. J’en faisais des jalouses, vous pouvez me croire.

La vie poursuivait son bout de chemin et moi je la suivais sans broncher. A ma dix-septième année, je décidai de quitter le village pour la ville. Je n’arrivais pas à imaginer une perspective d’avenir en restant dans ma campagne. En effet, j’ai échoué plus de trois fois à mon certificat d’étude primaire et j’avais refusé de surcroît le mariage forcé que mon père avait prévu pour moi.

À cet effet, j’étais devenue l’indésirable de la famille et le sujet de conversation des personnes oisives de mon village. Je sortais rarement et j’acceptais toutes les tâches qui pouvaient me mener loin de cet endroit. J’avais eu écho, par une amie qui vivait en ville depuis quelques temps déjà, qu’une famille recherchait une aide ménagère. Sans tarder, je plis mes bagages, pris le car du matin et partis sans dire mot. Heureusement que personne ne me remarqua.

J’arrivai effectivement à la gare comme prévu et ma future patronne vint me chercher. C’était une dame menue, aimable à vu d’œil et de taille moyenne. Elle était d’un noir brillant, avec des dents blanches et bien ajustées. Et son regard était chaleureux : une belle dame. J’allais pouvoir vivre mon désir de servante !

Le trajet ne m’a pas paru très long, car j’étais très occupée à admirer toutes ses choses que je n’avais jamais vu. Comparée au village, la ville était, en effet, un autre monde.

Après avoir passé quelques jours dans cette nouvelle famille, je commençais à prendre mes marques. Je faisais les courses sans l’intervention de « tantie ». Je l’appelais ainsi car c’était coutume en ville. Ayant la possibilité de sortir sans que l’on ne s’inquiète pour moi, j’ai rencontré Alouz, un jour en me rendant au marché.

Alouz, jeune étudiant en économie, vivait dans le quartier avec ses amis, dans une petite chambre qu’ils avaient loué pour la période de leurs études. Il n’avait rien d’extraordinaire, mais laissait percevoir une grâce de gosse de riche. Ce jeune homme me plaisait énormément, malgré la pauvreté qui l’animait. Alouz était élégant et parlait comme une personne ayant vécu pendant longtemps, avec des personnes de la haute société. Pourrait-il m’aider à assouvir mon désir de servante ? Je l’ignorais.

Au fur et à mesure que la relation évoluait, je donnais ce que je pouvais à Alouz pour l’aider au regard de sa condition estudiantine. Je n’appréciais pas cette situation, car Alouz ne faisait pas le quart pour moi. Mon salaire échappait à mon contrôle. Oui, je n’arrivais plus à m’en sortir.

En effet, ma mère avait des besoins que je devais honorer. Mon père me rappelait aussi les sacrifices qu’il avait fait pour moi et j’avais l’impression de lui être redevable. En plus, mes tantes et oncles n’hésitaient pas à me rappeler leur importance dans la finalisation de mon futur mariage coutumier. Enfin, mes frères et sœurs, toujours en bas âge, citaient également leur besoins quand ils avaient l’occasion de m’avoir au téléphone.

J’étais épuisée et je n’avais personne à qui parler. En ville, Alouz était mon seul secours.

Et je fis une chose que je regrette encore aujourd’hui. Cet acte me ramena directement au village avec un grand déshonneur. Quand je m’asseyais seule des fois, j’y repensais et les larmes coulaient.

N’ayant plus d’argent pour satisfaire les petits caprices d’Alouz, les conflits s’installaient tout doucement et je sentis que si je ne fis rien, il allait me quitter.

Un lundi, jour de travail, la maison se vida de toutes ses âmes. J’ai accompli toutes mes tâches quotidiennes comme d’habitude. Au moment de servir le repas pour le midi, j’ai eu la bonne idée de tout lui donner. Il n’était pas sûr, selon mes estimations, que les enfants reviennent à la maison.

Mais, je n'aurai pas dû.

Ce jour-là, toute la famille rentra à la maison pour accueillir un de leurs enfants qui avait passé la majeure partie de sa vie en Europe.

Les bagages rangés, les rafraîchissements servis, les nouvelles données, il ne restait qu’à passer à table pour se restaurer. Malheur à moi, il n’y avait plus rien et le restant de la monnaie, je l’ai donné à Alouz. Ne pouvant pas être sauvée ou excusée, « tantie » me demandait de quitter sa maison sur le champ. En effet, je n’étais pas à mon premier coup d’essai. Mais cette fois-ci, j’ai touché à la nourriture familiale et aucun mensonge ne pouvait camoufler mon acte.

L’amour, j’ai voulu le vivre à ma manière, avec un jeune homme qui n’hésita pas à me renier quand j’ai été licenciée. J’avais 22 ans quand je retournai au village.

Je n’avais rien épargné.

Et je n’avais rien réalisé. Malheureusement, mon désir de servante s’était évanoui en me laissant un goût moisi dans la gorge.

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